Session de novembre 2022 | Discours de la Présidente

L’assemblée départementale s’est réunie en séances plénières les lundi 28, mardi 29 et mercredi 30 novembre 2022. Retrouvez le discours d’ouverture de Chaynesse Khirouni, Présidente du Département, pour cette session.

Cher-e-s collègues,

Je pense que peu d’entre nous ici, ont connu un contexte aussi incertain tant sur le plan international qu’intérieur, pour élaborer une stratégie budgétaire à la fois réaliste et ambitieuse.

Faut-il rappeler l’agression russe et la crise ukrainienne qui ont tragiquement ramené la violence de la guerre sur le sol européen après le drame Yougoslave ? C’est bien entendu aux peuples en souffrance que vont d’abord nos pensées.

Mais nous mesurons aussi les conséquences de ce conflit sur la qualité de la vie de nos concitoyens ; et notamment sur les plus fragiles d’entre eux.

Le conflit ukrainien n’a fait que mettre en lumière les tensions préexistantes sur les ressources gazières et pétrolières. Tensions qui ont des conséquences sur les coûts du chauffage ou des carburants et donc sur l’inflation et le pouvoir d’achat. Pour notre collectivité et à titre d’illustration, cette explosion tarifaire représente une charge supplémentaire de l’ordre de 20 M€.

Ces constats révèlent une crise structurelle et profonde d’un modèle fondé sur la dérégulation et souffrant d’une véritable addiction aux énergies fossiles. Sa résolution ne peut durablement s’envisager que dans le cadre d’une transition écologique qui tarde à se hisser à la hauteur des enjeux du dérèglement climatique, de l’effondrement de la biodiversité et de la raréfaction des ressources en eau pour n’en citer que les principaux.

En regard de telles préoccupations, comment ne pas être atterré par une coupe du monde climatisée et aux coûts humain et carbone démesurés. Nous témoignons avec cette gabegie d’un aveuglement coupable et adressons aux jeunes générations un triste message d’indifférence à leurs légitimes inquiétudes.

Au plan intérieur, et nous en avons souvent échangé ici, le vieillissement de la population constitue l’un des défis majeurs des décennies à venir. Il interroge notre modèle sanitaire – déjà fragilisé – ainsi que notre stratégie domiciliaire.

Il questionne aussi la pérennité de notre système de sécurité sociale avec le financement encore incertain de sa 5ème branche dédiée à l’autonomie.

Il questionne également

  • l’accompagnement des proches aidants,
  • la place de l’innovation dans l’atténuation des effets de l’âge,
  • l’évolution des Ehpad aujourd’hui confrontés à de très graves difficultés,
  • l’indispensable revalorisation des métiers de l’aide à la personne et du soin – qui connaissent une situation de tension préoccupante,
  • et, plus largement, la reconnaissance de la citoyenneté des personnes privées d’autonomie du fait de leur âge et qui nous disent qu’elles ne veulent pas mourir deux fois : socialement d’abord ; dans leur chair ensuite..

Nos Ainés ont payé un lourd tribut lors de la pandémie de Covid-19. Le temps n’est-il pas venu, de nous interroger collectivement sur un vivre ensemble plus inclusif et de le mettre en œuvre ?

Ce dernier sujet constitue, selon moi, l’enjeu sociétal d’une loi « grand âge » qui nous aurait invité à réfléchir collectivement aux indispensables solidarités intergénérationnelles qu’il nous faut construire.

Car nous constatons bien qu’aux deux bouts de la pyramide des âges de grandes injustices se creusent et qu’une partie de notre jeunesse est aussi en souffrance.

Ces défis nous sont collectivement lancés. Notre responsabilité et notre devoir d’élu.e.s, nous invitent donc, plus que jamais, à rester fidèle à notre mission : garantir les grandes solidarités humaines et, avec elles, la protection des plus fragiles.

C’est avec cet horizon au cœur et forts du projet départemental que nous devons mobiliser nos ressources et construire un chemin sur une ligne de crête budgétaire, un chemin tout à la fois réaliste et audacieux tant en fonctionnement qu’en investissement. C’est tout l’objet du rapport d’orientation budgétaire qui nous réunit à l’occasion de cette session.

La tâche est ardue. Un grand merci à toutes celles et tous ceux, élu.e.s et agent.e.s, pour leur engagement dans ce travail plus que jamais indispensable. Car c’est lorsque le contexte est instable et chahuté que nous devons disposer de boussoles fiables.

Cet hommage aux services m’offre l’occasion de rappeler combien l’exercice des missions de service public expose, quelquefois douloureusement, ses agents. Je pense à l’inspecteur du fisc du Pas-de-Calais, assassiné à l’occasion d’un contrôle. Indépendamment des circonstances spécifiques de ce drame, je crains qu’il ne soit illustratif d’un climat social qui se tend, se traduit parfois par un surcroît d’agressivité des usagers et qui interroge notre cohésion sociale. En tout état de cause, je voudrais dire aux agents de la collectivité combien nous sommes attachés à leur sécurité, à leurs conditions de travail et au respect de leur intégrité.

Et, dans cet environnement incertain et précaire, j’aimerais pouvoir vous dire, mes cher.e.s collègues, que nous pouvons compter sur un Etat stratège, un Etat visionnaire, un Etat respectueux des valeurs de la décentralisation et déterminé à soutenir ses partenaires dans le cadre d’une action publique concertée et solidaire.

J’aimerais pouvoir vous dire que, par de-là la diversité de nos engagements, les Départements français, acteurs majeurs des solidarités, sont fédérés par un Etat républicain mû par le seul souci de l’intérêt général. Un Etat soucieux de la réalité et de la diversité des territoires que nous servons et dont notre ancrage garantie la connaissance.

Mais les responsabilités que j’exerce au titre des Départements de France au sein de la Caisse Nationale de Solidarité pour l’Autonomie ou du Comité des financeurs, mis en place à la suite de la conférence des métiers de l’accompagnement social et médico-social, me confirment dans le constat amer que je fais depuis mon élection : l’Etat instrumentalise les Départements en les dépouillant progressivement de leurs marges de manœuvres et de leur identité politique.

Les leviers de cette stratégie qui sape les fondements de notre République décentralisée sont connus.

Mais ils se déploient aujourd’hui avec une amplitude jamais connue. Ces leviers mortifères s’amplifient et s’appellent :

  • suppression de l’autonomie fiscale parfois doublée d’injonctions comptables à la limitation de nos dépenses telles que le pacte de Cahors,
  • multiplication des lois et règlements créant des dépenses nouvelles pour les Départements,
  • absence de compensation ou compensation partielle des dépenses et totale absence de prise en compte des charges de gestion induites,
  • ou encore, surdéveloppement de contractualisations et de plans toujours accompagnés d’exigence gestionnaires chronophages pour nos équipes.

S’agissant du Grand âge, je déplore profondément le refus obstiné de l’Etat de s’engager dans une réforme globale et systémique avec, pour conséquence, l’émiettement des dispositifs.

Et, parallèlement à cette boulimie normative, j’observe, comme vous, la profusion d’instances de pseudo-concertation dont la dernière en date n’est autre que le Conseil National de la Refondation dont on peut sans risque prédire une destinée équivalente à celle de la Convention citoyenne pour le climat.

En contre point à ces agoras très médiatisées, je regrette que le Comité des financeurs créé en février 2022, dans le sillage de la conférence des métiers de l’accompagnement social et médico-social, ne se soit réuni pour la première fois qu’en novembre dans l’urgence du calendrier contraint du PLFSS 2023.

Je suis également atterrée par la conduite hasardeuse de négociations souvent mal préparées. Je pense évidemment à celle du Ségur qui souffre de son péché originel : n’avoir pas intégré, dès l’origine, les professionnel.le.s des établissements sociaux et médico-sociaux dans son périmètre mais dont les conséquences financières sont délétères pour les Départements.

Je pense aussi à la mise en œuvre de l’avenant 43 de la branche de l’aide à domicile dont les mécanismes de compensation sont construits dans une atmosphère d’improvisation inquiétante plus d’un an après sa mise en œuvre.

Pour le Conseil départemental de Meurthe-et-Moselle, les mesures nationales de revalorisation des personnels concernées, soutenues de longue date par le Département se traduisent par des dépenses imposées de l’ordre de 22 M€ auxquelles s’ajoutent la revalorisation des rémunérations, là encore légitime, au sein de la fonction publique territoriale évaluée à plus de 5M€.

Au total, nos dépenses obligatoires contraintes augmenteront de plus de 50 M€ en 2023 ; soit une progression de +7 %.

Dans ce paysage où s’essouffle et se dégrade l’esprit de la décentralisation et le principe de libre administration de nos collectivités, vous comprendrez, cher.e.s collègues, la sévérité de mon propos que j’aurais pu compléter par un plaidoyer contre l’injustice de la réforme très idéologique de l’assurance-chômage

Ma sévérité est inspirée par la volonté farouche qui m’anime de rétablir les collectivités départementales et les élu.e.s que nous sommes dans la dignité de leur rôle et leur capacité à mettre en œuvre les engagements qui les lient démocratiquement aux citoyens de nos territoires.

C’est pour tenir compte de ce paysage politique et budgétaire dégradé qu’il faut nous engager dans le développement de nos marges de manœuvre et l’optimisation de nos ressources. Cet effort, plus conséquent encore, de rationalisation de notre fonctionnement, je le demande dès à présent à nos services et aux élu.e.s avec un but unique : préserver les politiques publiques de solidarités humaines et territoriales dont nous sommes garants et que traduit notre projet départemental.

Ainsi, avec l’accompagnement de l’autonomie des personnes et des aidants que j’évoquais en début de propos, je voudrais rappeler la priorité que notre projet départemental accorde à la réussite de la jeunesse de Meurthe-et-Moselle comme en témoigne la qualité des journées de la protection de l’enfance des 24 et 25 novembre réalisées dans le prolongement de la journée internationale des droits de l’enfant. Séquence qui s’est terminée par une belle prise de parole ‘une vingtaine d’enfants de l’ASE devant plusieurs centaines de professionnels.

En plus de la participation à la co-construction de nos politiques publiques,  priorité à la jeunesse illustrée également par deux engagements concrets en 2023 :

  • D’une part, l’examen des conditions de faisabilité d’un revenu d’émancipation jeunes pour lequel 400 000 € de crédits sont inscrits au budget prévisionnel ;
  • D’autre part, le maintien de l’ambition de la Politique Collèges Nouvelles Générations avec un niveau d’investissement élevé de 21 M€ complété par une politique de tarification sociale de la restauration scolaire et, bien sûr, la préservation de la gratuité des transports scolaires, au service du pouvoir d’achat des ménages et tout particulièrement des ménages modestes.

Notre investissement dans la transition écologique bénéficiera également de traductions fortes en 2023 avec :

  • le renforcement du Plan vélo initié cette année avec un soutien aux projets locaux porté à 1,5 million d’euros par an ;
  • et le déploiement d’un plan de sobriété énergétique sur l’ensemble des bâtiments départementaux articulé avec l’accélération de leur rénovation.

Enfin, parce que la Meurthe-et-Moselle est riche de la diversité et des potentiels de ses territoires et que le Conseil départemental entend contribuer à leur développement équilibré nous voulons, dans le contexte difficile que nous traversons, affirmer notre rôle de garant des solidarités territoriales.

Le nouveau dispositif 2023-2028 d’Appui aux Territoires 54 concrétisera cette vocation du Département de soutenir les projets et d’accompagner, dans la proximité, les initiatives des collectivités locales comme des acteurs associatifs, malgré le contexte difficile pour le Département.

Les initiatives locales en lien avec les grands besoins des territoires tels que l’accès aux soins, la prévention en santé, les mobilités, la lutte contre la pauvreté, mais aussi le sport ou la culture pourront ainsi bénéficier de soutiens souvent déterminants pour leur réalisation.

Pour y parvenir, le dispositif d’Appui aux Territoires 54 sera adossé à un budget d’un montant de 59 M€ en investissement et de 25 M€ en fonctionnement, soit un engagement non seulement maintenu, mais renforcé. 

Parallèlement, et cela aura un effet levier important, la politique de l’habitat et du logement sera également renforcée avec, outre le recrutement de 6 professionnels supplémentaires, un budget annuel porté à près de 10 M€ dès 2023.

Vous le constatez, cher.e.s collègue, plus que jamais, nous mobilisons les ressources du Conseil départemental pour assumer notre rôle de bouclier social au service des Meurthe-et-Mosellans, notamment des plus fragiles.

Nous y parvenons parce que notre Département a su conserver une assise budgétaire satisfaisante grâce à une gestion rigoureuse. Elle nous permet, malgré des niveaux de dépenses contraintes inédites, de préserver nos grands équilibres en maintenant la qualité du service public départemental ainsi qu’en renforçant notre investissement.

Pour préserver cette trajectoire et parce qu’il nous faut d’abord compter sur nos propres forces, nous devrons – comme je l’ai dit – accentuer nos efforts d’optimisation de nos ressources dans les mois et les années à venir.

L’enjeu est majeur : ne pas subir, mais accompagner courageusement les contraintes d’un contexte d’une dureté inédite afin de ne laisser personne sur le bord du chemin.

Je vous remercie.

Chaynesse KHIROUNI

Présidente du Département de Meurthe-et-Moselle