Session de mars 2019 | Question d’actualité
Catherine BOURSIER, déléguée du territoire Val de Lorraine
Fichier national des Mineurs Non Accompagnés (MNA)
Seul le prononcé fait foi.
Monsieur le Président,
Notre Département s’est engagé depuis plusieurs années dans l’accueil des Mineurs Non Accompagnés. Vous avez réaffirmé notre volonté de proposer un accueil digne et inconditionnel à ces jeunes. Je partage bien entendu ces valeurs de solidarité et de fraternité.
La publication du décret n°2019-57 du 30 /01/2019 issu de la loi « Asile et Immigration » portant création d’un fichier de traitement des données personnelles en appui à l’évaluation de la minorité des MNA interroge aujourd’hui les compétences mêmes des départements.
Une mission nationale conduite conjointement entre l’ADF et l’Etat préconisait la mise en place d’un dispositif permettant la création d’un fichier afin d’exercer au mieux nos responsabilités vis-à-vis de ces jeunes. Notre collectivité a participé à ces travaux par l’intermédiaire de sa Directrice Générale des Services.
Au-delà du travail quotidien des services, ce sujet a également été évoqué lors des travaux de la mission interne sur les MNA, elle devrait rendre ses conclusions dans les semaines à venir.
L’application de ce décret me pose de réelles questions de fond quant à l’exercice de cette compétence relative à l’accueil des MNA.
Ce décret marque les limites du « en même temps », entre le nécessaire accueil relatif à la protection de l’Enfance et la gestion des flux migratoire, compétence régalienne de l’Etat.
Si ce fichier, à la main du Ministère de l’Intérieur et mis en œuvre par les préfectures, que nous devrons alimenter si nous l’acceptons permettra d’améliorer la gestion des MNA, d’éviter le nomadisme et de contribuer à conforter les missions de protection de l’enfance des départements, il sera également un outil de lutte contre l’entrée et le séjour irrégulier des étrangers en France.
Je sais par ailleurs que certains départements ont d’ores et déjà rejeté la mise en œuvre de ce fichier et qu’il est fortement contesté par les associations engagées dans le soutien aux migrants.
Aussi, Monsieur le Président, je souhaiterais connaitre précisément la position du Conseil départemental de Meurthe-et-Moselle sur ce sujet.
Je vous remercie.
Réponse d’Agnès Marchand
Vice-présidente déléguée à l’enfance, la famille et le développement social
Seul le prononcé fait foi.
Chère Catherine, Cher-e-s collègues,
Permettez-moi, avant de répondre à votre question, de rappeler le cadre juridique de la protection de l’enfance. Ce préalable vous éclairera sur la position de principe que j’ai prise à l’égard du décret du 30 janvier portant création d’un nouveau fichier de traitement des données personnelles en appui à l’évaluation de la minorité des mineurs non accompagnés (MNA).
En effet, la protection de l’enfance s’ancre dans des valeurs fortes et un droit exigeant.
La Convention Internationale des Droits de l’Enfant adoptée par les Nations Unies le 20 novembre 1989 insiste, dans ses articles 19 et 20, sur le droit des mineurs à être protégés contre les mauvais traitements d’où qu’ils viennent, ainsi que sur le droit à une protection de remplacement en l’absence de famille, quelle que soit la provenance de l’enfant.
De même, la protection de la santé maternelle et infantile est un droit inscrit dans notre Constitution qui stipule que la Nation garantit à tous, notamment à l’enfant, la protection de la santé et la sécurité matérielle.
Ces textes, en cohérence avec les valeurs qui inspirent notre action et notamment le choix d’un accueil inconditionnel des MNA, nous rappellent que bien qu’étrangers, des mineurs isolés présents sur notre territoire relèvent de la protection de l’enfance, et non de la politique migratoire.
Or, le fichier des MNA tel qu’il est défini par ce décret est piloté par le ministère de l’Intérieur et non par celui des solidarités et de la santé. Le rôle qui est attribué à ce fichier en matière de lutte contre l’entrée et le séjour irrégulier des étrangers en France ne le positionne plus comme un outil de la protection de l’enfance qui doit instaurer un lien de confiance entre l’autorité parentale de substitution et les mineurs.
Le décret comporte ainsi plusieurs dispositions qui impliquent les Départements dans la politique migratoire de l’Etat telles que la communication d’informations sur les jeunes migrants considérés majeurs à l’issue de leur évaluation. Or ces informations sont parfois fragiles et sources d’erreur car les jeunes migrants peuvent être amenés, au cours de leur parcours migratoire souvent chaotique, à falsifier leurs documents.
Pour autant, nous considérons qu’un répertoire de suivi des jeunes migrants présents sur notre territoire reste un outil souhaitable. Il constituait une des préconisations de la mission nationale conduite conjointement par l’ADF et l’Etat au sujet des MNA en 2017, au sein de laquelle siégeait la directrice générale des services. Le président évoquait également la nécessité de ce répertoire dans un courrier du 16 août 2017 adressé à Nicole Belloubet, Garde des Sceaux, lorsque je l’alertais sur les difficultés d’accueil et d’évaluation des jeunes migrants en Meurthe-et-Moselle.
Ce répertoire a en effet pour objectif d’éviter le nomadisme et la sollicitation de différents Conseils départementaux pour l’évaluation d’un même jeune.
Il doit inscrire dans la perspective d’une reprise de la phase d’évaluation et de mise à l’abri par les services de l’Etat. Le Premier Ministre avait dans un premier temps confirmé cette orientation à l’occasion du congrès de l’ADF de 2017. Les faits ont malheureusement démenti cet engagement et les Départements conservent la responsabilité pleine et entière de l’évaluation de la minorité des jeunes étrangers isolés.
Ce transfert n’ayant pas été opéré et en l’état actuel de la répartition des rôles entre le Département et l’Etat, un tel fichier doit uniquement être alimenté et exploité par les départements, en partenariat avec la plateforme nationale d’orientation.
Sur ces bases, le président a informé la Ministre des solidarités et de la santé que nos services ne procéderont pas à l’application de ce décret, en l’état.