Session départementale du 22 mars 2021 | Questions d’actualité
Impact de l’instauration de la Collectivité européenne d’Alsace sur le devenir de la région Grand Est
Question de Michèle PILOT, présidente du groupe socialiste, écologiste et républicain
Madame la Présidente, Mes cher·e·s collègues,
En octobre 2018, gouvernement et élus alsaciens validaient l’accord de la future Collectivité Européenne d’Alsace (CEA).
Le 2 août 2019, la loi « Alsace » était promulguée. Elle reconnait les compétences nouvelles de cette collectivité, au-delà de celles développées par les conseils départementaux, à savoir : la coopération transfrontalière, le transport et les mobilités, le tourisme et le développement, la culture, le patrimoine régional et la vie associative.
La naissance de cette nouvelle collectivité, entrée officielle en fonction le 1er janvier 2021, créée un précédent dans l’organisation administrative et politique des Départements et des collectivités territoriales et rompt l’équilibre territorial. Elle ouvre la porte à une réorganisation des nouvelles régions issues de la loi NOTRe.
Le 1er Ministre, en visite à Colmar le 23 janvier dernier, indiquait que la CEA « est une forme de renaissance de l’Alsace en tant qu’entité politique au sein des institutions de la République » et proposait également de réfléchir à l’évolution des compétences. Il affirmait ne pas être convaincu que les nouvelles et immenses régions répondent aux besoins grandissants des citoyens.
Ces paroles encouragent donc les élus alsaciens à remettre en cause le périmètre et les compétences de la région Grand Est. Ce qui fut fait quelques jours plus tard dans les médias.
Au-delà de ces déclarations politiciennes, l’Etat ouvre la perspective d’un démantèlement de la Région Grand Est et d’une énième hypothèse d’une nouvelle réforme territoriale.
L’équilibre territorial et la stabilité des compétences dévolues aux collectivités territoriales ne peuvent être des variables d’ajustement d’accords politiques fragilisant le fonctionnement et le devenir de nos Régions.
Madame la Présidente, nous connaissons votre attachement aux valeurs républicaines qui garantissent l’unité et l’équilibre national, pourriez-vous nous faire part de votre position sur ce sujet ?
Je vous remercie
Réponse de Valérie BEAUSERT-LEICK, présidente du Conseil départemental de Meurthe-et-Moselle
Madame la Vice-présidente, Mes chers collègues,
La question de la collectivité européenne d’Alsace est une question éminemment sensible.
Si je respecte le fait pour les territoires d’être attachés à leur identité, je reste très interrogative quant aux aventures identitaires et exclusives dont le résultat ne peut être que des territoires à deux vitesses.
L’historique de la création de la CEA est quant à lui encore plus dérangeant : l’Etat offre la possibilité d’expérimenter dans les territoires. Sur ce point, vous me direz qu’il s’agit d’une très bonne chose, la Meurthe-et-Moselle ayant elle-même pu expérimenter par le passé.
Maintenant les possibilités offertes rebattent les cartes mêmes de la création d’une région, du travail mené depuis des années pour trouver des équilibres.
Et comme si la situation n’était pas suffisamment délicate, ici au sein de la Région Grand Est, nous avons un 1er ministre qui félicite les élus pour cette naissance et confie, en lisant très scrupuleusement son texte, qu’il avait toujours eu des doutes quant sur le périmètre des grandes régions, … comme si le contexte local n’était pas assez explosif !
Je ne reviens pas sur la levée de boucliers que ces déclarations ont suscitée, Jacqueline GOURAULT, Ministre de la Cohésion des territoires et des Relations avec les collectivités territoriales ayant dû clarifier la position de son premier ministre et siffler la fin de la récréation : certainement une forme d’expérimentation au niveau du gouvernement.
Pour ma part, le constat est sans appel : nous avons fragilisé la Région Grand Est et plus encore nous avons déstabilisé bon nombre de structures.
Je donnerai l’exemple des fédérations sportives mais elles ne sont pas les seules à ce jour impactées par ces déclarations.
Par ailleurs, une indépendance marquée en termes de compétences peut avoir des effets immédiats sur les autres territoires voisins.
Ainsi, nous voyons se profiler la question de l’écotaxe, qui ne peut pas être mise en place par un territoire seul sans avoir des conséquences directes sur le trafic en Lorraine.
Une écotaxe ne peut être étudiée que dans le cadre d’un schéma régional permettant d’intégrer les différents grands axes traversant et les itinéraires secondaires et de surcroît quand on est dans un espace frontalier, concentrant une grande partie du trafic européen et international.
Aujourd’hui, mon inquiétude porte sur le fait de permettre à nouveau des transferts de compétences qui au lieu de suivre une logique de pertinence et de meilleure articulation de l’action publique concourent au contraire à démanteler certains échelons de compétence et d’action.
Un futur bouleversement du champ des compétences des collectivités territoriales pourrait aboutir à ne plus avoir de lisibilité sur l’action publique.
Et surtout faire naître des territoires à deux vitesses remettant en cause un socle fondamental du développement territorial : celui de l’équité dans l’accompagnement du développement et celui d’un aménagement équilibré.
Je reste attentive aux conséquences futures du grand jeu de « chamboule tout » des compétences qui pourrait s’exercer dans les mois ou les années qui viennent.
Le projet de Loi 4D, j’avoue me laisse encore aujourd’hui perplexe : pas de cap clair dessiné, plutôt une addition de transferts possibles sans garantie aucune sur les moyens mais une certitude, l’addition pour les départements, pourrait encore une fois être plus salée que prévue.
Pour vous rassurer, ma chère collègue, je reste vigilante sur les suites de la naissance de la CEA et comptez sur moi pour défendre les intérêts qui sont les nôtres comme j’ai déjà eu l’occasion de le faire lors de la dernière réunion avec l’ensemble des Présidents de la région Grand Est.
Je vous remercie.