Session départementale du 22 mars 2021 | Questions d’actualité
Avenir des mineurs non accompagnés protégés par le Département
Véronique BILLOT, conseillère départementale du canton de Nancy-2
Madame la Présidente, Mes cher.e.s collègues,
Le conseil départemental de Meurthe-et-Moselle est engagé en faveur d’un accueil digne et inconditionnel des personnes se déclarant mineures et isolées sur son territoire.
A ce titre, et dans un contexte d’arrivées régulières intensifiées en 2016 de jeunes migrants (d’abord dits « mineurs isolés étrangers », puis « mineurs non accompagnés »), le Département a fait évolué ses capacités d’accueil, d’hébergement et d’accompagnement. Il a adapté ses modalités d’évaluation et de prise de charge ; satisfaisant son obligation de protéger les mineurs d’où qu’ils viennent et leur offrant autant que possible les conditions d’accompagnement que leurs parcours exigent. Rappelons s’il est nécessaire la fragilité et la vulnérabilité de nombre d’entre eux, en raison notamment de symptômes post-traumatiques et de parcours migratoires complexes et éprouvants.
La Meurthe-et-Moselle a toujours veillé à adopter une posture bienveillante à l’égard de ces jeunes isolés, investissant tant humainement que matériellement pour leur prise en charge et multipliant par ailleurs les contrats jeunes majeurs pour leur permettre une meilleure intégration dans notre société.
Confiés à l’Aide sociale à l’enfance, ils peuvent bénéficier dans leur parcours d’une scolarité ou d’une formation. Ils s’orientent ainsi volontiers vers des parcours professionnalisants dans les secteurs de l’artisanat, de la restauration ou du BTP (secteurs en tension de recrutement).
Malheureusement, alors que la grande majorité d’entre eux fait preuve de sérieux et d’implication, force est de constater leurs difficultés à obtenir un titre de séjour et une régularisation une fois leur majorité atteinte. Et cela, quand bien même leurs dossiers attestent d’une réelle volonté d’intégration et d’excellents résultats scolaires.
Des mobilisations se font jour aux 4 coins de la France – souvent menées par des patrons et des artisans désireux de poursuivre la transmission de leur savoir-faire auprès de ces jeunes motivés. Des initiatives locales ont également été menées ces dernières semaines ; dans le Lunévillois pour soutenir Mamadou et à Nancy pour soutenir Sanoussi. Ces appels témoignent de la violence des mesures d’expulsion prises unilatéralement par les préfectures et de l’incompréhension engendrée par ces situations paradoxales.
Dans ce contexte, Madame la Présidente, pourriez-vous intervenir auprès du Gouvernement pour que ces situations malheureuses cessent et que l’intégration sociale et professionnelle des jeunes MNA soit davantage prise en compte dans les décisions préfectorales.
Je vous remercie.
Réponse d’Agnès MARCHAND, vice-présidente déléguée à l’enfance et la famille
Cher-e-s collègues, Chère Véronique,
Le Conseil départemental s’inscrit en effet et comme la loi nous y invite, dans un accueil inconditionnel des MNA, et assure à ces mineurs, comme à tous ceux qui sont confiés au Département, un accompagnement qui les prépare à l’autonomie.
Dans cette perspective, nous nous sommes engagés dans la stratégie prévention et protection de l’enfance initiée par le Secrétaire d’Etat Adrien Taquet en 2019. Il entendait réduire les sorties « sèches » des jeunes majeurs ayant relevé de l’ASE en les accompagnant au-delà de leurs 18 ans.
Parce que nous partageons cette préoccupation et que le Conseil départemental s’est très tôt mobilisé à soutenir ces jeunes adultes, nous nous sommes attachés à veiller à ce qu’aucun d’entre eux, quelle que soit son origine, ne reste sur le bord du chemin de l’autonomie et de l’intégration, au travers des contrats jeunes majeurs (ou CJM).
L’attribution de ces contrats est assortie de deux conditions cumulatives :
- un projet d’insertion solide construit avec le jeune dans le cadre de l’accompagnement de l’ASE
- et son engagement déterminé dans la mise en œuvre de ce projet.
Le nombre de contrats jeunes majeurs n’a cessé de croître et la Meurthe-et-Moselle en comptait 566 au 28 février 2021 contre à peine 300 en juin 2019.
Cette dynamique est aujourd’hui menacée pour une partie des bénéficiaires des CJM, 60% de ces contrats étant signés avec d’anciens MNA devenus majeurs.
En effet, bien que dans l’attente de données précises, nous estimons à 25% des ex-MNA en CJM, aujourd’hui sous le coup d’une obligation de quitter le territoire français (OQTF).
Beaucoup d’entre eux, en apprentissage, se heurtent à des difficultés de régularisation et voient ainsi leur dynamique éducative interrompue. En effet, aucun contrat de travail adossé à un apprentissage ne peut être signé en cas d’OQTF.
Comme tu le rappelais Véronique, nombre de ces situations, partout en France, sont dénoncées par des mouvements citoyens. Notre département n’échappe pas à cette mobilisation ; c’est le cas à Nancy et dans le Lunévillois.
Il n’est pas question pour le conseil départemental de Meurthe-et-Moselle d’afficher une posture jusqu’auboutiste et de remettre en cause l’ensemble des décisions préfectorales. Certains jeunes migrants ne s’inscrivent en effet pas dans les mesures d’accompagnement que nous mettons en œuvre. Quand des actes de délinquances sont commis, une réponse de fermeté s’impose.
Mais je tiens à rappeler que la grande majorité des MNA n’aspirent qu’à entrer dans un processus d’intégration qui les obligent.
Les refus de leur régularisation reposent généralement sur un problème de conformité des documents d’identité. Or, ces jeunes, en raison des aléas de leur parcours migratoire et aussi en raison de la fragilité de certaines administrations de leurs pays d’origine, ne disposent pas toujours de certificats d’identité parfaitement opposables.
Cependant, dans le cadre de l’évaluation de leur minorité, et en nous inscrivant dans une procédure de vérification engageant parfois les services de l’Etat et l’Autorité judiciaire, le Département atteste de la sincérité de leur situation. Sur ces bases, il enclenche ensuite un accompagnement de plusieurs années, avec une implication forte de professionnel.le.s de la protection de l’enfance et des crédits significatifs.
Ces appuis permettent à ces jeunes de dévoiler leurs potentialités et d’élaborer un projet de vie reposant sur une formation qualifiante dans des métiers souvent délaissés par nos compatriotes. Nombre de témoignages d’enseignants ou d’artisans attestent de l’implication et du sérieux de la plupart de ces jeunes.
Ces derniers sont aujourd’hui bloqués dans leurs objectifs et certains sont démobilisés. Ils subissent, alors qu’ils sont engagés dans une dynamique d’insertion viable- j’en veux pour preuve l’article paru dans la presse ce samedi au travers duquel le CFA de Pont à Mousson exprime sa satisfaction quant à l’engagement de ces jeunes- , il subissent disais-je , les effets du durcissement de la politique migratoire du Gouvernement. Et celle-ci va jusqu’à l’absurde.
Ainsi, une OQTF a été prononcée le 22 février à l’encontre d’un mineur étranger accompagné par le Département, qui, dans le cadre de la procédure de préparation de la majorité élaborée en partenariat avec la Préfecture, rencontrait des difficultés pour réunir des documents attestant de son identité.
L’ensemble de ces constats pointent l’incohérence profonde de la politique gouvernementale en direction des jeunes étrangers que nous accueillons. Alors que la loi et l’éthique dictent aux Conseils départementaux de prendre en charge ces mineurs au titre de l’enfance en danger, l’Etat les pénalise une fois qu’ils sont devenus majeurs.
Pourquoi ces jeunes, accueillis mineurs dans le cadre de la protection de l’enfance, relèvent-ils sans nuance de la politique migratoire une fois majeurs ?
Tout cela est d’autant plus incohérent que la multiplication des OQTF multipliera les cas d’errance urbaine et les risques pour la tranquillité publique qui les accompagnent. En effet, dès lors que ces jeunes n’ont plus de projet pour justifier d’un CJM, le Département n’a plus vocation à les accompagner.
Ces constats avaient déjà été dénoncés par Mathieu Klein, et aujourd’hui la Présidente les a rappelés dans un courrier récent adressé au Secrétaire d’Etat à la Protection de l’enfance.
Mais je crains que ce dernier ait beaucoup de mal à se faire entendre face à son collègue de la place Beauvau, plus représentatif des évolutions politiques du Gouvernement.
Je vous remercie.