Session départementale du 22 novembre 2021 | Discours d’ouverture de la présidente
La présidente réaffirme le rôle de bouclier social du Département, au service des Meurthe-et-Mosellans
Chaynesse Khirouni, Présidente du Conseil départemental de Meurthe-et-Moselle
L’intégralité du discours de la présidente
Seul le prononcé fait foi.
Cher.e.s collègues,
La récente intervention présidentielle devait inviter les Français à se préparer à une 3ème dose de vaccin. La situation sanitaire reste encore et toujours compliquée. Elle fut surtout un plaidoyer pour un 2ème mandat.
Outre le manque d’élégance de la méthode – 30 mn de promotion sans contradicteur à quelques mois des élections – cette allocution a mis l’accent sur les réformes indispensables qui n’ont pas été menées et dont nous mesurons tout particulièrement l’urgence dans l’exercice de nos mandats départementaux.
Car, en 2020, la dépense nette d’action sociale des Conseils départementaux a augmenté de 4,2% alors que la participation financière de l’Etat est restée presque stable (+1,4%). Cette progression est notamment liée à la crise Covid, à l’implication forte des Départements dans l’accompagnement de la pandémie.
Concernant le Conseil départemental de Meurthe-et-Moselle, cet impact s’élève à 10 millions d’euros en 2020, progression liée aux impacts et aux conséquences économiques et sociales de la crise sanitaire.
Le rapport d’orientation budgétaire dont nous aurons à débattre durant cette session comporte un diagnostic social complet et malheureusement inquiétant. Je ne le développerais donc pas davantage ici.
2 PUBLICS PRIORITAIRES DE L’ACTION DEPARTEMENTALE : LES JEUNES ET LES AINES
Dans ce contexte difficile, deux publics spécifiques se distinguent. Je pense à nos jeunes et à nos aînés, à ces deux extrémités de la pyramide des âges qui ont tant souffert de la crise sanitaire et de ses confinements. Notre majorité départementale en fait une priorité pour ce mandat.
Dans les deux cas, c’était à plus de reconnaissance et d’autonomie que le Gouvernement aurait dû œuvrer.
- Plus d’autonomie économique pour les jeunes adultes avec la création d’un réel revenu de subsistance dans un contexte où près de 40% de jeunes travaillent avec contrat précaire et où un jeune sur six a arrêté ses études après la crise Covid ; j’y reviendrai.
- Plus d’autonomie pour les personnes âgées qui ont payé un lourd tribut à la pandémie. A eux, mais aussi aux aidants qui les accompagnent et sans lesquels l’édifice de prise en charge du grand âge s’effondrerait. Ils ont notamment besoin de services d’aide à domicile robustes, de professionnels reconnus et formés pour les soigner mais aussi d’une prise en charge des frais d’établissement qui repose davantage sur la solidarité nationale.
Ces réformes qui, je le redis sont prioritaires, ont été renvoyées à un second mandat… hypothétique.
D’autres changements, pourtant contestés, ont par contre trouvé leur place dans un agenda politique que l’on sent davantage dicté par les enjeux électoraux que par le souci de cohésion et de justice sociale. Je pense notamment à la refonte injuste du mode de calcul des indemnités chômage qui aura pour conséquence une plus grande précarisation des demandeurs d’emploi.
Le financement des politiques d’autonomie
Dans la même séquence, alors que la très récente 5ème branche de la Sécurité sociale dédiée à la dépendance est déjà déficitaire, le Gouvernement renonce à la loi sur le grand âge pourtant promise depuis 2019.
Or, ce texte devait précisément remettre à plat un système de prise en charge et de financement de la perte d’autonomie arrivé à bout de souffle. L’abandon de cette loi est irrespectueux des personnes âgées, de leurs associations et des acteurs du grand âge pour qui un texte fédérateur était aussi l’occasion d’une prise de conscience nationale et d’un vaste débat sur les nécessaires solidarités intergénérationnelles au sein du pays.
En l’absence de ce grand projet, les réformes dans les champs sanitaire et médico-social se succèdent, s’empilent, se contredisent avant de se compléter partiellement. Pour ma part, je cherche la cohérence, je cherche les priorités, je cherche le sens…
D’autant que les mesures qui ont été prises, qu’elles relèvent du projet de loi sur le financement de la sécurité sociale, du Ségur de la santé ou de l’accord de branche de l’aide à domicile – ce qu’il est convenu d’appeler l’avenant 43 -, aucune de ces mesures n’a été réellement concertée avec les Départements. Pourtant, elles pèsent sur nos finances et sur le fonctionnement de nos partenaires associatifs.
Les sommes en jeu sont significatives et seront récurrentes.
- L’établissement du tarif horaire des services d’aide à domicile à 22 € auxquels pourront s’ajouter 3 € de dotation qualité représentent ainsi 1,3 M€ de dépenses supplémentaires dont la compensation reste incertaine.
- L’avenant 43 et la revalorisation des métiers du domicile constituent une dépense nette plus significative encore puisqu’elle sera de l’ordre de 8 M€ dès 2022. J’observe que pour cette mesure, la compensation par l’Etat, initialement annoncée à hauteur de 50 % se situera, au final, à seulement 25%.
Cette légèreté avec laquelle l’Etat engage les budgets départementauxest malheureusement une constante puisque le même constat peut être fait pour la loi pour l’enfant. Elle sera prochainement débattue et comprend également des dispositions qui engagent nos budgets sans la moindre compensation.
Le Conseil départemental de Meurthe-et-Moselle a toujours milité pour la nécessaire revalorisation des métiers de l’aide à la personne et pour leur reconnaissance. Je me considère comme l’héritière fidèle de cet engagement. Il en est de même pour la reconnaissance des professionnels du secteur médico-social de compétence départementale, oubliés du Ségur et qui travaillent auprès des personnes handicapées et des enfants confiés à l’Aide sociale à l’enfance.
Ces sujets, je les ai évoqués avec les Parlementaires de Meurthe-et-Moselle. Tous s’accordent à reconnaître que ces dépenses doivent également relever de la solidarité nationale. Je l’ai évidemment rappelé à Brigitte Bourguignon, Ministre déléguée à l’autonomie, lorsqu’elle était dans nos murs à l’occasion du 50ème anniversaire de l’ONPA. J’ai rappelé également que malgré les difficultés, face au défi de l’autonomie, le département sera au rendez-vous, s’engagera, innovera.
Une solidarité nationale qui doit se repenser pour les personnes âgées et qu’il faudra également convoquer pour les plus jeunes.
L’engagement pour la jeunesse
Une société responsable investit pour sa jeunesse, elle lui donne les clés pour devenir indépendante, se former et trouver un emploi.
Une société responsable refuse de voir les files d’étudiants s’allonger devant les distributions d’aides alimentaires.
Une société responsable refuse de voir sa jeunesse occuper les emplois précaires et subir un taux de chômage deux fois plus élevé que la moyenne nationale, voire beaucoup plus pour les moins formés ou celles et ceux vivant dans certains territoires (ruraux, quartiers).
La précarité des jeunes est une réalité. Elle a été mise en exergue ces derniers mois, mais elle existait déjà bien avant la crise. Toutefois, nous ne devons pas sous-estimer l’impact de la perte des jobs étudiants ou emplois précaires qui a laissé de nombreux jeunes sans aucune source de revenu pendant plusieurs mois.
Trop de jeunes ne disposent pas aujourd’hui du minimum de ressources pour vivre dignement. C’est pourtant une condition de leur insertion dans la société, à un moment charnière de leur vie, où leur parcours professionnel commence et leur avenir se dessine.
Le Gouvernement aurait pu tirer les enseignements de cette crise et proposer un revenu de subsistance à la jeunesse. Non seulement la réforme des bourses sur critères sociaux annoncée a été abandonnée, mais le moment aurait pu être saisi pour mettre un terme à cette anomalie qui fait qu’entre 18 et 25 ans, un citoyen n’a pas accès aux filets de sécurité que constituent les minimas sociaux
Des mesures ont été prises au plan national en faveur de l’insertion professionnelle des jeunes, traduites dans le plan 1 jeune 1 solution. Ses effets sur l’apprentissage et l’entrée en Garantie Jeunes ont été réels.
Mais l’ambition reste insuffisante face aux enjeux. L’annonce, en juillet dernier, d’un revenu d’engagement pour tous les jeunes qui en auraient besoin, aboutit aujourd’hui à un contrat qui ne concernera que la moitié des jeunes durablement éloignés de l’emploi. Que deviennent les autres ? Qu’en est-il de ceux qui enchainent les petits boulots précaires ?
Pour les usagers comme pour les collectivités qui doivent en supporter le coût, le système actuel est épuisé. La complexité administrative favorise le non-recours aux droits et 30% des personnes qui devraient bénéficier du RSA ne le demandent pas. Au-delà des chiffres, la crise sanitaire et ses effets ont mis en lumière l’incapacité de l’actuel RSA à protéger les citoyens des fluctuations économiques.
La Meurthe-et-Moselle s’était portée volontaire dès 2018 aux côtés d’autres Conseils départementaux de gauche pour expérimenter un revenu de base dans plusieurs territoires. Le refus du Gouvernement d’élargir cette expérimentation a coupé court aux initiatives territoriales, alors même que le revenu de base aurait permis de tester une solution concrète en conditions réelles et d’en tirer des enseignements. A l’époque, le Gouvernement avait argué qu’il préparait sa propre solution de Revenu Universel d’Activité. En 2020, le RUA a définitivement été enterré.
Je souhaiterais que cette Assemblée porte de nouveau cette ambition : celle d’un revenu d’émancipation pour les jeunes.
RSA ET DEVENIR DES MINIMA-SOCIAUX
Plus récemment, c’est de manière totalement unilatérale que l’Etat a annoncé qu’il souhaitait ouvrir le bénéficie du RSA aux salariés dont le contrat de travail a été suspendu pour défaut de passe sanitaire valide. Ce que les exécutifs départementaux ont dénoncé d’une seule voix c’est, une fois de plus, l’intention du Gouvernement de faire supporter par les Départements les conséquences financières de ses propres décisions, sans aucune concertation avec les principaux intéressés. Face à des questions éthiques, l’Etat n’a même pas eu le courage d’assumer les conséquences de ses choix.
La possibilité offerte par le projet de loi 3DS d’expérimenter une recentralisation du RSA pour 5 ans devra cette fois-ci être concertée avec les Départements.
Le combat pour que l’Etat prenne en charge les dépenses d’allocations individuelles de solidarité, qui relèvent de la solidarité nationale, est porté par cette majorité depuis la présidence de Michel Dinet. Si une recentralisation est expérimentée, ce sera avec le Département et pas au détriment du Département. J’y serai particulièrement attentive.
Cette fin de mandat présidentiel est marquée par la promesse non tenue de réformer en profondeur les minimas sociaux. Elle se conclut aussi sur un triste constat : les mesures prises durant le quinquennat ont fait baisser le niveau de vie des 5% des Français les plus défavorisés selon une étude de l’Institut des politiques publiques. Sûrement les effets de la politique du ruissellement chère au Président de la République.
SAINT-GOBAIN
Je souhaiterais évoquer également avec vous, mes chers collègues, le sujet de Saint Gobain. Un sujet qui dépasse les clivages. Un sujet qui démontre encore les incohérences de l’Etat.
Pour rappel l’Etat, dans le cadre du Plan France relance, cautionne la mise en difficulté d’un fleuron français en soutenant financièrement l’installation, sur le territoire français, à Arles, du groupe Electrosteel, une firme indienne et concurrent direct de Saint-Gobain.
Par ce choix, ce sont près de plus de 2 000 emplois directs qui sont menacés contre la création de 200 emplois annoncés pour Electrosteel. Je vous rappelle que l’entreprise Saint-Gobain s’est vu refuser l’accès par l’Etat indien à son marché. Le principe de réciprocité ne s’applique pas à tous et le gouvernement français cautionne.
Cette décision est d’autant plus incompréhensible quand le chef de l’Etat, avec sa casquette de candidat à sa réélection, annonce devant un parterre de chefs d’entreprise qu’il souhaite que la France, je cite « redevienne une grande nation d’innovation » et souhaite « réconcilier cette France des start-up et cette France de l’industrie ».
Afin d’interpeller le gouvernement, il vous sera proposé une motion, qui j’espère, sera soutenue et portée par l’ensemble de cette Assemblée.
LUTTE CONTRE LES VIOLENCES FAITES AUX FEMMES
Chères collègues, alors que notre session se conclura lors de la journée internationale de lutte contre les violences faites aux femmes, vous me permettrez d’évoquer l’engagement de notre collectivité pour cette cause.
Le sens politique de notre engagement, je vous invite à le trouver dans les propos que l’ethnologue Françoise Héritier tenait dans le sillage de l’affaire Weinstein et du mouvement #MeToo : « Les conséquences de ce mouvement peuvent être énormes. A condition de soulever non pas un coin mais l’intégralité du voile, de tirer tous les fils pour repenser la question du rapport entre les sexes, de s’attaquer à ce statut de domination masculine (…) C’est un gigantesque chantier. »
Et ce chantier croise aussi celui des abus sexuels commis sur les enfants. Ces violences sont les conséquences tragiques du même esprit de domination et d’impunité qui nourrit les violences faites aux femmes. Le rapport accablant sur les faits de pédophilie au sein de l’Eglise catholique en est une douloureuse illustration.
La cause des enfants constitue d’ailleurs un motif complémentaire à l’implication du Conseil départemental dans la prévention des violences faites aux femmes en raison du caractère particulièrement traumatisant de ces actes sur les enfants qui y assistent. Car l’enfant n’est jamais « témoin » des violences mais bien victime.
Protéger la mère c’est donc protéger l’enfant et inscrire pleinement la lutte contre les violences conjugales dans le cadre de l’enfance en danger tout en étendant ce combat à toutes les formes de violences nourries par une vision dégradée de la femme et par tous les obscurantismes culturels ou religieux.
Un combat qui nécessite aussi du courage et de la persévérance politiques à tous les échelons institutionnels, où l’exemplarité doit s’imposer jusqu’au plus haut sommet de l’Etat, ce que démentent encore malheureusement les faits. Récemment encore, le #MeToo politique auquel appellent près de 300 femmes cadres politiques, dont l’ancienne Ministre Laurence Rossignol, fait écho à ce besoin d’exemplarité de la classe dirigeante.
LES DEFIS DES SOLIDARITES ET DES TRANSITIONS AU CŒUR DE L’ACTION DEPARTEMENTALE
Au cœur des Solidarités, le Département ne peut évidemment ignorer ce contexte social et sociétal et doit affirmer sa volonté d’accompagner les nécessaires mutations qu’exige la construction d’une société plus juste et engagée dans la transition écologique.
Le rapport d’orientation budgétaire 2022, qui regroupe à la fois les grands objectifs départementaux, le contexte dans lesquelles ils se déploient ainsi que les ressources sur lesquelles nous pourrons nous appuyer, traduit cette ambition.
Défis pour un département proche et solidaire :
- Mettre l’humain au cœur des politiques publiques dans un contexte sanitaire qui a accentué les fractures et fragilisé les plus précaires,
- Protéger les oubliés d’une politique nationale qui creuse les inégalités,
- Continuer à accompagner celles et ceux qu’une reprise économique ne suffira pas à insérer dans l’emploi digne et durable,
- Construire une société réellement inclusive pour les femmes et les hommes en perte d’autonomie en raison de leur âge, de leur handicap ou de leur santé,
- Poursuivre et amplifier nos politiques publiques pour une transition écologique solidaire parce que ce sont les plus précaires qui sont les plus touchés par les conséquences du réchauffement climatique, l’augmentation du coût des énergies…
Voilà quelques-uns des grands défis qu’un Département solidaire et proche doit relever.
Pour y parvenir, nous pouvons compter sur une situation budgétaire saine, léguée par la majorité précédente comme en témoignent la maîtrise du taux d’endettement de la collectivité, un niveau d’autofinancement satisfaisant et une capacité de désendettement bien en deçà de la moyenne des collectivités de même strate.
Même si cette solidité est relative et tributaire de la conjoncture économique, notre Département conserve une situation financière satisfaisante permettant de garantir ses grands équilibres sans baisse du niveau des services aux usagers et des investissements.
Le Département a d’ailleurs fait le choix de maintenir un haut niveau d’investissement durant toute la crise sanitaire, afin de soutenir ses forces vives et l’emploi. En 2022, le Conseil départemental renforcera encore cet effort avec un niveau de dépenses réelles d’investissement en progression par rapports aux années précédentes.
De même, l’engagement de stabilité globale des effectifs, intervenu dans le cadre de l’Agenda social voté en juin 2018 par l’assemblée départementale, est un atout précieux. Il correspond, en outre, à une démarche particulièrement rare à l’échelle des collectivités publiques. Il nous permet d’accompagner, de redéployer et d’ajuster les effectifs en fonction des besoins de nos concitoyens, tout en tenant compte d’une nécessaire maîtrise de la masse salariale.
Plus que jamais, notre Département mobilisera ses ressources pour assumer son rôle de bouclier social au service des Meurthe-et-Mosellans, notamment des plus fragiles, socialement, économiquement. L’enjeu est majeur : ne pas subir mais accompagner courageusement les mutations de notre monde en ne laissant personne sur le bord du chemin.
A nous de faire de ces mutations des opportunités afin de contribuer, à notre échelle, à un monde plus fraternel, plus juste, plus sûr et plus durable.
Je vous remercie.